Michaux : Peintre et écrivain
Bonjour, je n'aurais pas l'outrecuidance de vous présenter aujourd'hui Henri Michaux que, bien entendu beaucoup connaissent autant comme écrivain que peintre. Je ne le connais que par ces écrits enfin un seul "la vie dans les plis" un petit livre tout à fait superbe et dont j'ai pris un immense plaisir à lire.
Amicalement
Gentle13
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L’aventure commença vers la fin de la seconde guerre mondiale avec l’achat de « Panorama de la jeune poésie française » de René Bartelé, publié à Marseille en 1943. Un poème toucha tout particulièrement Robert Bréchon qui avoua, que 60 ans plus tard, ce poème « emportez-moi » le touche toujours autant.
Puis, ce fut la découverte en 1946, dans la collection « Poète d’aujourd’hui » chez Seghers, de Michaux. Il y eut, plus tard, Raymond Bellour qui donna un « Henri Michaux ou une mesure de l’être » paru chez Gallimard, mais aussi, les introductions des oeuvres complètes en trois volumes à la bibliothèque de la pléiade, toujours chez Gallimard.
Tout semblait dit... Il n’y avait plus, peut-être, qu’à souligner ou suivre la route déjà balisée... Mais relever un défi, est avant tout faire acte de création. Pour atteindre son but. Robert Bréchon eut recours à l’écriture. Une écriture qui, ne cherche pas l’effet, une écriture, qui connaît le chemin de l’âme toute simple, toute pure. Avec cet ouvrage, Robert Bréchon réalise une synthèse entre l’homme et son œuvre, tout en respectant l’un et l’autre, ce qui représente un véritable tour de force.
Seul Michaux, artiste peintre, demeure quelques pas en arrière, laissant à l’écrivain le rôle principal, car l’oeuvre picturale connaît une audience universelle encore à venir pour la prose et la poésie.
Michaux est-il un poète à part entière, un poète véritable ? N’est-il pas plutôt un pionnier du monde visible, mais également et surtout du monde invisible ? Mais, me direz-vous, devenir comme dans le Nouveau Monde, l’aventurier des grandes plaines, n’est-ce pas justement incarner « le poète » dans ce qu’il a de plus authentique et de plus sacré ?
Michaux a suivi la piste des hallucinogènes pour atteindre et pénétrer dans des univers fantastiques. De ces expériences mystérieuses, le poète nous a laissé une écriture qui sent la foudre et où les éclairs de la vie claquent à l’intérieur de chaque mot, comme autant de paroles inconnues qui nous traversent, nous bousculent, transfigurant le pas minuscule de notre quotidien. N’est-ce pas ainsi que l’artiste se métamorphose en mythe ?
Hors de tous les courants, de toutes les modes éphémères, Michaux, a refusé tous les honneurs, les décorations, car il considérait que ’l’écriture ne suit pas, elle précède’. Il ne faisait que poursuivre une direction qui depuis sa naissance, ’lui fait choisir sa voie singulière’. Le poète se défiait de tout ce qui pouvait limiter, clore, enfermer, sa marche dans le doux ronron hypnotique de la ’ routine’.
Michaux savait maintenir « cet état d’éveil » qui s’exprimait par une présence active. ’Nous dormons notre vie, nous passons à côté d’elle, nous sommes des somnambules, l’ambition du poète c’est de parvenir à ce niveau supérieur d’éveil qui est à l’éveil ordinaire ce que celui-ci est au sommeil’
’j’écris pour me parcourir...’. L’écriture semble bien à la recherche du poète. De cette chasse naît, derrière chaque mot vaincu, un nouveau personnage ! Aussi le poète incarne-t-il ce ’fameux point d’interrogation en marche’. ’À la mesure, au limité, on aboutit plus, quoi qu’on fasse alors, on est dans les ondes sans fin du démesuré. D’une façon, c’est un peu un retour...’
’L’homme est un enfant qui a mis une vie à se restreindre, à se limiter, à se voir limiter, à s’accepter limité. Adulte, il y est parvenu, presque parvenu. L’infini, à tout homme, quoi qu’il veuille ou fasse, l’Infini ça lui dit quelque chose, quelque chose de fondamental. Ça lui rappelle quelque chose. Il en vient.’, nous confie le poète dans le dernier volume de la saga mescalienne, « les Grandes Epreuves de l’Esprit ».
Robert Bréchon nous montre dans ce livre indispensable à une approche plus profonde peut-être de « cet artiste univers » entre prose et poésie, tout ce qui exclut l’enfermement, cette limitation plus ou moins consciente de soi-même. Michaux n’a cessé, par le biais de ses phrases mouvantes, tendues comme une coulée de lave, d’exprimer les malaises de ce Mystère qui nous entoure.
Cette quête multiple, jamais achevée, prouverait la présence d’un mouvement que l’homme doit saisir pour atteindre le seuil où se tient « le vivant ». Tout est en devenir, tout est donc à découvrir, au-delà de ce temps aussi insaisissable que ce monde à trois dimensions.
Le livre de Robert Bréchon s’achève par « quelques renseignements sur quatre vingt années d’existence, sorte de guide qui permet au lecteur de comprendre le cheminement de « cet artiste cosmique » que nous sommes encore loin de cerner.
Il faudra, sans doute, plusieurs générations, avant que nous appréhendions l’oeuvre dans son ensemble. L’ouvrage de Robert Bréchon ouvre une brèche, admirable et terrible, offrant à notre regard stupéfait l’étendue de notre éternité, non aux confins des galaxies, mais bien à notre porte, dans la fuite innocente du contenu de notre sablier.
(mesure de l’homme -Henri Michaux)"... Il y a une solidarité des créatures
Contre les abus de pouvoir du créateur
Si j’étais Dieu, j’aurais pitié du cœur des hommes,
Et des bêtes"
... ..."Le problème de la nuit reste entier. Comment la traverser, chaque fois la traverser tout entière ?
Que mes secondes sont lourdes ! Jamais je ne les aurais crues si lourdes. Instants éléphantiasiques.
Loin de tout, rien en vue et pourtant comme des bruits à travers un filtre.
J’entends des paroles ininterrompues, comme si sans cesse, on répétait : Labrador, Labrador, Labrador, Labrador,
Labrador, Labrador. Une poche me brasse. Pas de fond. Pas de porte, et moi comme un long boa égaré... Oh espace, espace abstrait (...) (...)
Fatigué de monter, vais-je descendre ? Mais je ne suis plus fatigué. Je ne sais plus rien de ce qui est de la fatigue. Je ne la connais plus.
Je suis grand. Je suis tout ce qu’il y a de plus grand. Le seul peut être tout à fait grand. Où sont les êtres ?..."
"Grand, j’aimerais aller vers plus grand encore, vers l’absolument grand. Je m’offre s’il existe. J’offre mon néant suspendu, ma soif jamais encore étanchée, ma soif jamais encore satisfaite. Tout convient : le lieu est vaste. Plus vaste. Plus de fermeture. Pas de témoins. Fais signe si tu existes, viens, me prenant comme insecte dans une couverture. Viens tout de suite. Ceux d’en bas tirent sur moi, cerf-volant dans le vent, cerf-volant qui ne peut résister, qui ne peut couper sa corde..."