Le Japon à l'honneur
Armando
Haruki Murakami est né en 1949 à Kobé. Le roman dont je vous propose des extraits se caractérise par sa singularité. Il ne ressemble vraiment à rien d'autre. A la frontière entre réalisme et onirisme, il a un style simple, dépouillé et direct. Le seul bémol, comme souvent avec les romans qui côtoient le rêve, réside dans la relative déception finale. Rien de plus difficile en effet que de trouver une conclusion à la hauteur du rêve
La course au mouton sauvage, Traduit du japonais par Patrick De Vos, Editions du Seuil, (coll. points roman, n°R 519) 1990. |
La nuit était étrangement douce, tandis que le ciel demeurait de plomb. Un vent humide du sud soufflait tranquillement. Comme d'habitude. Une odeur de mer se mêlait à un pressentiment de pluie. Les alentours étaient plongés dans une languissante nostalgie. L' herbe drue des berges aménagées résonnait du chant des insectes. A tout moment, la pluie semblait vouloir se mettre à tomber. Une pluie si fine qu'on se demandait si s'il pleuvait vraiment, et qui pourtant vous détrempait de pied en cap sous vos vêtements. p. 94-95. |
Quand j'eus vidé mes bières, je lançai de toutes mes forces les deux boîtes vides en direction des terrains qui s'étaient substitués à la mer. elles disparurent, englouties par l'océan d'herbes qui ondulaient sous le vent. J'allumai alors une cigarette. J'étais en train de la finir quand je vis quelqu'un muni d'une lampe de poche marcher lentement à ma rencontre. C'était un homme d'une quarantaine d'années, vêtu d'une chemise grise, d'un pantalon gris et coiffé d'un chapeau gris. Sans doute un employé de la surveillance des aménagements. « Vous avez lancé quelque chose tout à l'heure, n'est-ce pas ? dit-il, debout à mes côtés. - En effet, dis-je. - Qu'est-ce que vous avez lancé ? - Quelque chose de rond, en métal et portant un couvercle », dis-je. Le gardien était quelque peu désarçonné. « Pourquoi avez-vous fait ça ? - Sans aucune raison. Ça fait douze ans, sans interruption, que je les balance comme ça. Un jour, j'en ai même lancé une demi-douzaine d'afilée, et personne n'a jamais rien dit. - Ça, c'est du passé. fit le gardien. Ce terrain appartient aujourd'hui à la municipalité, et il est interdit de jeter des ordures sans autorisation sur un terrain municipal ! » Je restai muet quelques instants. Je ne sais quoi trembla un moment en moi, puis cela cessa. « Le vrai problème, dis-je, c'est que ce que vous dites a un sens. - C'est ce que dit le règlement», dit l'homme. Je sortis mes cigarettes de ma poche en soupirant. « Qu'est-ce qu'on va faire ? - Je ne vais tout de même pas vous demander d'aller ramasser ce que vous avez jeté. Il fait noir et il commence même à pleuvoir. Alors, ne recommencez-plus. - Je recommencerai plus, dis-je. Bonne nuit. - Bonne nuit », fit le gardien et il s'en alla. p. 96-97. |
Le septième jour, à compter de mon arrivée sur les lieux, j'assistai à la première chute de neige. Ce jour-là, chose rare, le vent ne souffla guère le matin, de lourds nuages couvrirent le ciel d'une couche de plomb. J'étais en train d'écouter un disque en sirotant un café, après mon footing et ma douche, quand il se mit à neiger. Il tombait des flocons durs et biscornus qui venaient heurter bruyamment les vitres. Une brise légère se leva et la neige commença à courir vers le sol à vive allure, hachurant l'espace de traits inclinés à trente degrés. Clairsemés au début, ces hachures auraient pu être celles d'un quelconque motif reproduit sur le papier d'emballage d'un grand magasin, mais quand il se mit à neiger sérieusement, tout se voila de blanc au-dehors, et montagnes et forêts devinrent invisibles. C'était une vraie giboulée du nord, rien à voir avec les première chutes de neige tranquilles que l'on connaît occasionnellement à Tokyo. Cette neige-là enveloppait tout, gelait la terre jusqu'à la moelle. Elle ne supportait pas non plus qu'on la regarda très longtemps, aussi avais-je déjà mal aux yeux. Je baissai les rideaux, pris un livre que je lus à côtédu poêle à mazout. Quand, parvenu au bout du disque, le bras automatique revint au repos, tout autour de moi tomba dans un terrible silence. Un silence de mort, littéralement. Je posai mon livre et, sans raison précise, je fis un tour méthodique de mon domaine. Du salon j'allai à la cuisine, vérifiai le débarras, la salle de bains, le cabinet de toilette, la cave, ouvris l'un après l'autre les portes à l'étage. Il n'y avait personne. Le silence s'était coulé comme de l'huile dans les moindres recoins. Tout au plus résonnait-il différemment de pièce en pièce. J'étais seul comme jamais je ne l'avais été dans ma vie (...) La neige cessa de tomber au début de l'après-midi. Aussi soudainement qu'elle avait commencé. L'épaisse masse nuageuse se déchirait çà et là comme une terre argileuse, et des trouées du ciel tombaient de grandioses colonnes de lumière qui glissaient d'un endroit à l'autre sur la prairie. C'était magnifique. Une neige dure jonchait partout le sol, comme si l'on avait saupoudré la terre de petits gâteaux de sucre. On eût dit que chaque flocon se serrait solidement sur lui-même, dans un refus obstiné de fondre. Mais, sur le coup de trois heures, la neige s'était quasiment volatilisée. La terre était détrempée et le soleil déclinant baignait la prairie d'une lumière tendre. Les oiseaux, comme libérés, se mirent à chanter. p. 276-277. |