De la Russie à la chine : La poésie voyage
Gentle13
présentation du travail d’Olga Sedakova et lectures par : | ||
Olga Sedakova est née en 1949 à Moscou. Poètes de loin amènent la parole. « L’on peut commencer un entretien sur la poésie – ou bien plutôt sur le drame de la poésie dans la société contemporaine (d’aucuns diraient volontiers sur la fin de la poésie dans notre civilisation, sur sa mort, sur l’heure post-poétique qui a sonné à nos montres) de n’importe quel endroit. Le caractère arbitraire de ce point de départ est la première leçon que nous donne la poésie : leçon de transformation de l’espace. L’espace touché par la poésie, de réalité chosifiée qu’il était, local rempli d’objets (entre lesquels existent des distances plus ou moins grandes, franchissables ou infranchissables) devient quelque chose d’autre. Il se dématérialise, de même que les cordes effleurées par les doigts, l’archet ou le plectre cessent d’être des objets et se muent en pure vibration sonore. Ainsi, en poésie (j’entends ici la poésie indépendamment de l’activité versificatrice proprement dite), ce qui est proche peut s’avérer plus éloigné qu’une galaxie, tandis que le plus lointain résonne non pas de près, mais de l’intérieur – et tout peut répondre à tout, sans tenir compte de son emplacement « prosaïque », de ses propriétés lexicales, sémantiques, logiques, historiques. » LA PLUIE | ||
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Elle passe une partie de son enfance en Chine, où son père, travaillait comme coopérant. Elle fit ses études à l’Université d’État de Moscou avant de soutenir, en 1973, à l’Institut d’Etudes Slaves et Balkaniques de l’Académie des Sciences d’URSS, une thèse sur les rites funéraires archaïques des Slaves du Sud et de l’Est.
Ces longues études et ses recherches ont permis à Olga de découvrir tout d’abord la poésie russe classique, puis la poésie européenne. Elles abordent ainsi, dans l’original, les oeuvres de Dante, Goethe, Hölderling, Baudelaire, Claudel etc....
Cette poétesse écrit ses premiers vers à l’âge de 11 ans. La poésie représente la concrétisation la plus naturelle de sa pensée.
Olga n’est pas un auteur officiel, et ses poèmes seront ignorés jusqu’à la Perestroïka. Cependant, son oeuvre est largement diffusée par les réseaux parallèles du « Samizdat ». Au moyen de lectures et réunions clandestines, la poésie fut et demeure pour tous les peuples opprimés de la terre, l’expression et le symbole de la résistance et de la liberté. C’est sans doute pour cela que dans certains pays occidentaux elle est, de nos jours, sous haute surveillance.
Vorota, Okna, Arki (fenêtres, portes, arcades) fut le premier recueil de notre poétesse. Notons qu’il parut à Paris en 1986, aux éditions Y. M. C. A Press. L’oeuvre d’Olga est aujourd’hui traduite dans plus de quinze langues, ce qui permet de dire que cette poétesse est devenue à la fois internationale et incontournable.
Mais lorsqu’elle fut publiée dans les années 60, c’était dans des journaux et revues contrôlés par le parti. 1967 marque le début du silence. Plus aucun poème ne parut et cette « disparition poétique » dura jusqu’en 1991.
1967 n’est pas une date innocente, elle est à la frontière de l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie qui marquera la fin du rêve socialiste et de la liberté des peuples. Année sombre et glaciale où Olga a fait de la résistance spirituelle, non pas contre le régime, mais contre « l’étant », le donné, la vie sans vie que le pays doit subir. L’arme essentielle de cette résistance pacifique est le désir de forme dans un monde devenu justement uniforme.
Olga fait partie d’un cercle d’artistes, poètes, écrivains, philosophes, qui ont pour point commun le refus de toute compromission avec le pouvoir. Aujourd’hui, sa poésie circule dans le monde entier. Elle incarna l’attitude du héros lyrique inflexible devant les tentations et les pièges de l’histoire, mais aussi cette profonde humilité face aux forces divines.
Contrairement aux États-Unis et à l’Europe, la Russie n’a accepté l’emploi du verbe dit libre, qu’à partir de la dernière décennie du 20e siècle. Olga se démarque par la synthèse qu’elle opère entre la tradition et l’avant-garde. Ces maîtres en poésie sont Mandelskam et khlebnikov. Ce dernier, qui est sans doute le plus génial des poètes d’avant garde russe est peut-être aussi un des plus grands du 20e siècle, se retrouve dans certains poèmes d’Olga. Elle lui rend également hommage en lui consacrant plusieurs études critiques.
Le voyage en Chine et autres poèmes regroupe des extraits de plusieurs recueils dont Stèles et Inscriptions, chansons anciennes, sans oublier naturellement le Voyage en Chine.
L’humilité (smirénie), la compassion, la douceur, le partage en une communion profonde, sont les acteurs de ses poèmes où le courage, l’indépendance et l’acte de foi en la vie offrent au lecteur la vision d’un autre futur. Souhaitons que ce recueil, en français, sera suivi de beaucoup d’autres (en version bilingue cette fois) permettant ainsi au public de découvrir et d’apprécier une voix majeure de notre époque.
"Elégie se transformant en Requiem (extraits)
Je ne veux pas savoir de quelle angoisse
s’agite cette mer inouïe.
« En bas » - ici cela veut dire : « devant nous ».
Je hais l’approche du malheur !Oh ! prendre tout, et par tout, et sur tout,
ou bien avec un pin trempé dans le Vésuve,
sur les cieux, comme quelqu’un a dit,
écrire, écrire à ces seuls mots
écrire en sanglotant les mots « VIENS A NOTRE AIDE ! »
en lettres énormes, pour que les voient les anges
pour que les lisent les martyrs
assassinés avec notre accord
pour que le seigneur le croie : rien
ne reste dans le coeur détesté,
dans l’esprit vide, sur la terre ruinée
nous ne pouvons plus rien. Viens à notre aide ! »"